Euthanasie : l'affaire Bonnemaison divise l'ordre des médecins
Journal Le Monde de septembre 2011
L'affaire du docteur Nicolas Bonnemaison, du nom de ce médecin soupçonné d'euthanasie active sur au moins quatre patients de l'hôpital de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), divise jusque dans les instances professionnelles. La question de porter plainte ou non contre l'urgentiste devant une chambre disciplinaire était à l'ordre du jour de la réunion plénière du conseil de l'ordre des médecins des Pyrénées-Atlantiques, jeudi 1er septembre.
Après plus d'une heure de débat et un vote à bulletin secret, la majorité a décidé de surseoir à la décision. "Aujourd'hui, nous ne disposons pas de suffisamment d'éléments pour nous permettre de prendre une décision", a expliqué au Monde Sylvie Harmant, la secrétaire générale du conseil de l'ordre des Pyrénées-Atlantiques.
Le président de cette instance, le docteur Marc Renoux, s'est aussitôt désolidarisé de ce choix. "Il ne faut pas tout mélanger. La sympathie à l'égard du docteur Nicolas Bonnemaison, ses qualités professionnelles, incontestables, sont une chose. Le débat sur l'euthanasie, une autre. Mais il y en a une troisième, celle de fairerespecter le droit, qui est l'une des missions du conseil de l'ordre des médecins. Or, d'après les éléments d'enquête recueillis, le docteur Bonnemaison a enfreint l'article38 du code de déontologie médicale et la loi Leonetti. Ne pas le traduire devant une chambre disciplinaire est inacceptable."
Deux jours plus tôt, mardi 30 août, le docteur Marc Renoux, et trois des membres du conseil de l'ordre, avaient entendu, pendant plus d'une heure, l'urgentiste, pour tenter de comprendre ses actes. Début août, des aide-soignantes et des infirmières du service des urgences de Bayonne avaient alerté le directeur de l'hôpital sur le comportement du docteur Bonnemaison après quatre décès suspects de personnes âgées entre les mois d'avril et août.
Me Arnaud Dupin, l'avocat du praticien mis en examen pour "empoisonnement", avait alors évoqué "un geste de médecin", et non "un acte militant". Il a "respecté le serment d'Hippocrate, peut-être pas le code pénal", ajoutait-il.
Pour le président du conseil de l'ordre, il n'en est rien. "Le docteur Bonnemaison a agi seul, sans qu'aucune demande n'ait été formulée, ce qui est contraire à la déontologie professionnelle et à la loi Léonetti.""Les patients étaient certes en fin de vie, mais nous n'avons aucun droit de porter atteinte à la vie humaine."
Au cours de cette audition par ses pairs, le praticien a évoqué ses pratiques. "Il s'agit pour lui d'une sorte de philosophie sur la fin de vie, rapporte le docteur Renoux. A ses yeux, administrer de l'Hypnovel et du Norcuron était un protocole de fin de vie plus agréable que l'association Hypnovel-morphine [ndlr : utilisée pour soulager les patients très douloureux avec le risque d'accélérer la survenue de la mort]. Sauf qu'avec le Norcuron, l'intention de donner la mort est claire."
Informé du choix de l'instance départementale de ne pas poursuivre le médecin pour le moment, le conseil national de l'ordre des médecins, en désaccord manifeste avec cette décision, devrait lui-même se saisir de l'affaire mercredi 7 septembre, lors de sa réunion de bureau et déférer le docteur Bonnemaison devant une chambre disciplinaire. "Au vu des informations qui nous ont été transmises, le médecin a transgressé les règles du code de déontologie, enfreint le code de santé publique et les règles morales et éthiques de la profession", explique André Deseur, porte-parole du conseil national de l'ordre des médecins.
Toutefois, de manière à ce que "l'affectif et l'amitié ne l'emportent pas sur le devoir de veiller au respect des règles déontologiques", l'affaire pourrait ne pas être portée devant la chambre disciplinaire du conseil régional de Bordeaux, théoriquement compétente, mais être dépaysée dans une autre région.